Dans la série des répétitions, ce soir j'ai eu envie de vous faire à nouveau partager l'un de mes beaux souvenirs, de ceux qui vous marquent pour la vie et vous laisse une empreinte indélébile ad vitam aeternam. C'était il y a une éternité, c'était mon premier homme. Bonne lecture!
"Mon premier amour s'appelait Patrick, comme moi. Il avait trente trois ans. J'en avais vingt. Je l'avais rencontré par petites annonces. Pas très romantique, je sais, mais j'avais vingt ans et j'avais décidé que j'étais en âge de découvrir certaines choses. Et je ne savais pas comment faire dans cette ville froide qu'était Amiens, où j'avais l'impression que les gens vivaient enfermés chez eux.
Nous nous étions donnés rendez-vous devant la librairie principale de la ville, nous avions déambulé dans les rues de la capitale, et finalement il m'avait invité à prendre un verre chez lui. Nous avions bavardé pendant des heures, la nuit était tombée, et, tenaillés par la faim, nous avions fini dans une pizzeria. La première fois que son genoux avait effleuré le mien sous la table, j'étais devenu tout rouge. Puis son genoux s'était attardé, et j'avais senti la chaleur de son corps contre ma jambe, sa chaleur qui m'envahissait. Il faisait chaud subitement !
Nous étions rentré chez lui, et pendant le court trajet en voiture il avait posé sa main sur ma cuisse. J'avais hâte d'être arrivé chez lui. Je ne savais pas trop pourquoi, mais j'avais hâte...
Nous échangeâmes notre premier baiser la porte à peine refermée, sans même prendre le temps d'allumer la lumière. C'était la première fois que j'embrassais un homme. C'était bon ! Cette sensation de sa bouche contre la mienne, de ses lèvres pressées contre les miennes, ce combat de nos deux langues emmêlées, oui, c'était bon ! Je n'oublierais jamais ce premier baiser passionné, avide, enragé, ni la sensation particulière de ma langue qui butait contre son incisive cassée, ses bras qui m'enserraient, ses mains qui me pétrissaient. Je ne sais pas si ce premier baiser m'a conditionné, mais je n'aime pas les gens qui n'embrassent pas, ou qui embrassent avec l'air de ne pas y toucher, avec pudeur. Je veux des baisers ardents, passionnés, fougueux.
Je me souviens de l'odeur du beurre chaud, odeur qui ne peut être qu'agréable au demi-breton que je suis. On commençait à parler du sida, c'était il y a une quinzaine d'années, on avait compris que ça n'était pas une maladie qui affectait uniquement les drogués, on commençait à en parler dans la presse, on savait qu'il fallait mettre des préservatifs, mais on ne savait pas encore que les corps gras les rendaient poreux. On avait utilisé de la margarine comme lubrifiant, et il me reste l'odeur du beurre chaud en mémoire de mes premiers ébats, l'odeur des galettes de blé noir de mon enfance sur lesquelles on faisait fondre une noisette de beurre salé...
Le lendemain quand je suis rentré chez moi, j'étais le plus heureux des hommes. Je me sentais différent, épanoui, accompli. J'avais l'impression d'avoir franchi un cap, d'être passé de l'autre côté de la barrière, d'être enfin un homme. Je crois bien que je me suis promené avec un sourire béat toute la journée...
Ce premier amour a été rapidement suivi de ma première déconvenue. Quelques semaines plus tard, je l'ai aperçu au bras d'un autre. Je lui ai posé la question, il m'a avoué qu'il me trompait, je l'ai quitté. Je n'imaginais pas à cette époque qu'on puisse tromper quelqu'un, aller de mec en mec. Je pensais que quand on aimait quelqu'un, on n'aimait que lui. J'étais naïf. Je me suis senti trahi, sali, floué.
Mais le temps a passé depuis, et au final je garde un souvenir très agréable de ce premier homme, de ces deux mois où j'étais amoureux pour la première fois. Je n'aime pas trop la musique de Mahler, mais chaque fois que j'entends ces Chants de la terre par Kathleen Ferrier, je ne peux m'empêcher de penser avec émotion à mon premier Patrick." (13 janvier 2005)
(depuis la période où cette note a été écrite, mes goûts ont un peu évolué, et je commence à apprécier certaines choses de Mahler. D'ailleurs ce soir je ré-écoute Kathleen Ferrier dans un enregistrement des Kindertotenlieder..)