A la question quand ai je fait mon coming-out j'avais à une époque fait la réponse suivante:
Instinctivement j'ai envie de répondre "jamais". Disons qu'il n'y a pas eu un jour précis où j'ai décidé de dire qui j'étais vraiment, les choses se sont faites en douceur. J'ai toujours su que j'étais différent, que je n'étais pas attiré par les filles. Même à l'époque où je ne savais pas qu'un mot comme "homosexuel" existait.
Quand j'étais au collège je redoutais les boum où il fallait danser avec des filles, et je préférais regarder les cuisses des garçons qui jouaient au foot. Au lycée je n'avais aucun doute sur ma sexualité, même si je n'étais pas un pratiquant. Il m'arrivait même d'en parler avec deux-trois amis soigneusement sélectionnés (des filles en général, et un copain homo qui s'appelait Patrick aussi, mes confidents ont pratiquement toujours été des filles, pas des garçons). A la fac j'étais ouvertement homosexuel, je portais des tenues sans ambiguité (vous n'avez jamais vu mon petit short rouge ras-la-moule? très provocant!) ...mais j'étais toujours puceau.
J'ai attendu d'être majeur pour passer à l'acte. Mon premier homme s'appelait Patrick (oui, ça ne s'invente pas!), il avait la trentaine, il était brun, grand, pas très épais, et j'en ai été follement amoureux pendant très longtemps (jusqu'au jour où il m'a quitté pour un autre mec en fait).
Donc pas vraiment de coming-out, juste une vie assumée au quotidien, je n'ai jamais fait semblant d'être hétéro. Les seuls qui ignoraient que j'étais homosexuel étaient mes parents, parce qu'ils le voulaient bien (je veux dire par là que je n'ai jamais fait passer aucune de mes copines pour une petite amie, ils voulaient juste ne pas voir la réalité qui pourtant était devant eux). Mais un jour il a tout de même fallu que je les mette devant cette réalité, parce que je ne supporte pas la fausseté, le mensonge. Je me doutais que ça ne se passerait pas très bien, mais il fallait le faire.
J'étais à l'époque en Angleterre, à Warrington, petite ville à mi-chemin entre Liverpool et Manchester. Je pensai être amoureux. J'avais écrit à mes parents que je ne viendrai pas pour Noël, parce que je voulais le passer avec Mark. Je n'avais pas dit qui était Mark. Mark était un pompier qui habitait à Liverpool qui avait un superbe corps, de beaux yeux bleu-gris, de beaux cheveux noirs, et un accent "made in Liverpool" qui me transportait. C'était en décembre 1991.
Le matin de Noël, j'avais appelé à Dakar pour souhaiter un joyeux Noël à mes parents. C'est ma mère qui avait décroché. "Mark, c'est un nom de garçon ! On a toujours su que tu étais comme ça, mais on voulait pas le savoir, pleura ma mère au téléphone. Pour nous ce ne sera plus jamais pareil, tu n'es plus notre fils..." J'étais hébété quand j'ai raccroché le téléphone. Hébété et énervé. Je suis sorti de la cabine téléphonique en rage, déçu d'avoir des parents aussi peu compréhensifs. Vingt-deux ans, je leur avoue enfin que j'aime les hommes, et ils me répondent "Patrick tu n'es plus notre fils, on ne veut plus te voir" Je me doutais bien qu'ils ne le prendraient pas très bien, de fait j'avais attendu d'être financièrement indépendant et loin d'eux pour leur annoncer, mais je pensais que la distance adoucirait les angles, je ne m'attendais pas à une réponse aussi extrême...
Déception donc, ce n'est pas moi qui pousserait un petit jeune à faire son coming-out tant qu'il n'est pas indépendant. Je n'ai plus eu de nouvelles de mes parents pendant les mois suivants, aucun contact. Jusqu'au jour d'été où j'ai commencé une petite dépression, où j'ai commencé à me nourrir de mayonnaise à la petite cuillère, où j'ai fini par ne plus manger du tout... Et puis un jour, au bout du rouleau, je les ai appelé, j'ai parlé de mes envies de suicide, de mon désespoir, de l'état dans lequel j'étais... et ils m'ont rapatrié à la maison.
Ca n'était pas glorieux, je m'asseyais sur une chaise et je restais silencieux pendant des heures, sans bouger, parfois des larmes coulaient de mes yeux sans que j'y fasse attention, je trempais mon oreiller toutes les nuits, bref je n'allais pas très bien. J'étais maigrissime, on pouvait compter mes côtes une par une, j'avais les joues creuses et le regard hagard, et quand mes parents m'ont vu à l'aéroport, j'ai vu de la peur dans leur regard. Ils ne comprenaient pas l'état dans lequel j'étais, qu'on puisse sciemment se laisser mourir, qu'on puisse même penser à se supprimer. J'ai vu de la peur dans leur regard, et j'ai baissé les yeux.
Nous n'avons plus jamais parlé de mon homosexualité, pas cet été, nous n'avons parlé de rien. Et depuis nous n'avons jamais évoqué ce passage peu glorieux de mon existence.
Pendant des années j'ai fait avec. J'ai accepté de ne pas parler de ma vie personnelle, qu'ils ne rencontrent jamais l'homme avec qui j'ai vécu pendant plusieurs années, de jouer en quelque sorte à l'hétéro célibataire. Jamais mes parents n'ont rencontré aucun de mes amis ni même demandé s'ils existaient, et quand par la force des choses ils savaient qu'il en existait un ils choisissaient de l'ignorer.
Je me souviens qu'à l'époque des mariés de Bègles j'étais en vacances à Dakar chez mes parents, c'était passé aux infos à la télévision, pas un mot n'avait été prononcé à ce sujet. Jusqu'à preuve du contraire mes parents sont contre le mariage entre deux hommes ou deux femmes ou l'adoption par un homosexuel.
Progressivement j'ai eu de plus en plus l'impression de ne plus vraiment faire partie de ma famille. Comment aurait-il pû en être autrement puisque toute ma vie privée était niée? Puis il y a eu l'épisode du Noël dernier. Là j'ai décidé que c'était la goutte d'eau de trop, que je ferai plus aucun effort, que je ne participerai plus à aucune réunion de famille.
Curieusement on m'a reproché de m'isoler volontairement de ma famille, on m'a dit que c'était moi qui faisait ce choix, pas ma famille qui me l'imposait. Grosso modo tout serait de ma faute. Je n'ai pas pris la peine de démentir. S'ils veulent penser qu'ils n'y sont pour rien, grand bien leur fasse. Après tout, oui c'est mon choix de ne plus accepter de supporter toute cette hypocrisie, c'est mon choix de ne plus faire part d'une famille qui ne supporte pas mon homosexualité.
Et donc j'ai rejoint la grande famille de tous ces homosexuels pour qui les fêtes de Noël ne sont pas des fêtes de famille. Je suis loin d'être le seul dans ce cas, c'est assez répandu. Et pour les homosexuels qui passent les fêtes en famille, beaucoup le font sans leur conjoint. En fait il y a beaucoup de gens pour qui les fêtes de Noël ne sont pas un moment festif...
J'avais lu ton histoire et j'en avais parlé avec toi. Aussi hier soir je voulais te souhaiter une bonne soirée: un petit signe d'amitié.
Mais tu sais Internet est rempli ce soir d'histoires de Noël qui se passent mal et même chez moi......
Mais ce petit short rouge verrais-je un jour le propriétaire avec? /:-)
Rédigé par : Alain | 25/12/2010 à 22:40
La famille... Si on pouvais s'en passer et couper les ponts réellement, comme ce serait simple.
Rédigé par : Kevin Zaak | 26/12/2010 à 01:18
>Alain. Oh oui, je me doute bien qu'il y a plein de Noël qui ne se passent pas très bien...
Pour le petit short rouge je n'ai aucune idée de ce qu'il a pu devenir, et à mon âge vénérable mes shorts sont devenus kaki ou ocre, beaucoup plus sobres
>Kevin. Ca demande un peu beaucoup de volonté, c'est certain!
Rédigé par : Patrick Antoine | 26/12/2010 à 19:10