C'était un soir, ou plutôt une nuit. Je rentrais à pied et remontais le boulevard de Strasbourg quand une main s'est posée sur mon épaule et m'a demandé son chemin, la gare du Nord. C'est tout droit ai-je répondu. Tout droit? Enfin presque, juste en face vous avez la gare de l'Est et la gare du Nord est sur sa gauche. Il a continué son chemin, mais je l'ai vu cent mètres plus loin essayer de se repérer sur un plan à une sortie de métro.
Quand je suis arrivé à sa hauteur, je lui ai demandé en passant s'il avait visualisé où il était. Pas tout à fait m'a t-il répondu, en fait je vais du côté de Jules Joffrin. Oh c'est tout simple ai-je enchaîné, vous prenez le boulevard de Magenta sur votre gauche au croisement et c'est toujours tout droit. Il change de nom ensuite mais il va jusqu'à la porte de Clignancourt. Et, comme je voyais qu'il n'était pas très sûr de lui, j'ai rajouté que j'allais dans la même direction, que si je voyais qu'il tournait dans la mauvaise direction je lui ferai signe. Et là tout naturellement il m'a proposé de faire le chemin ensemble.
Et donc nous avons bavardé, de tout et de rien.
Il venait de rentrer en France après des années travaillées ailleurs en Europe, notamment en Angleterre, et trouvait le milieu professionnel français avec ses habitudes très différent d'où il venait, très coincé et très basé sur les diplômes et des régles artificielles plutôt que sur des compétences et des capacités à faire les choses. Il n'arrivait pas à s'y faire et envisageait de retourner vivre ailleurs. Je ne le comprenais que trop bien, ayant moi aussi des envies récurrentes d'aller voir si l'herbe ne serait pas plus accueillante ailleurs.
Nous avons parlé de la vie, des choses qu'on est supposé faire pour faire comme tout le monde, de la pression des gens pour rentrer dans le moule. Il avait la trentaine et me disait que tous ses amis étaient dans la période où on fait des enfants et qu'il sentait une pression autour de lui pour qu'il s'engage et fasse lui aussi des enfants. Ca ne faisait pas partie de ses envies, et il avait plutôt du mal à avoir des relations stables. Il m'a demandé où j'en étais de mon côté, je lui ai dit que j'étais homo, que peut-être à une époque j'aurais aimé avoir un enfant mais que la vie en avait décidé autrement.
Nous avons parlé politique, nous avons parlé écologie, nous avons parlé de notre gouvernement soit-disant de gauche mais qui mène une politique de droite, nous avons parlé des Verts qui ont été catastrophiques dans la campagne présidentielle et qui se sont complètement écrasés pour avoir des places au gouvernement, si bien qu'aujourd'hui plus personne ne croit en eux et qu'ils ne représentent plus rien.
Nous avons continué sur les relations entre les gens, cette froideur du parisien moyen qui ne parle pas aux gens qu'il ne connait pas contrairement à d'autres pays où des inconnus n'ont aucun problème pour avoir une conversation au pub ou ailleurs. Il a du mal avec ça aussi, et pourtant il est français, a passé toute son enfance en France et est le prototype parfait du blondinet passe-partout qui ne doit pas être beaucoup discriminé pour son apparence.
Finalement nous nous sommes trouvés à l'intersection des boulevards Ordener, Ornano et Barbès, et nos chemins se sont séparés. Et là je me suis dit que ça faisait du bien de rencontrer des gens normaux, des gens qui vous réconcilient avec la vie. J'aime bien ces petites rencontres, ces bouts de vie partagés avec des inconnus, et je me rends compte aussi que bien souvent ces inconnus sont des étrangers, des gens qui ne vivent pas à Paris. Je vais finir par penser que c'est le parisien moyen qui m'insupporte.
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