Le titre Pourquoi être heureux quand on peut être normal? sur la jaquette identifiable des éditions de l'Olivier a immédiatement suscité mon intérêt. C'est exactement le genre de phrase qu'aurait pu prononcé ma mère, une phrase tellement proche de ses réponses toutes faites aux questions que je posais sans jamais obtenir de réponse (oui, je posais trop de questions, des questions qu'il n'était apparemment pas nécessaire de se poser, et donc auxquelles il n'était pas nécessaire de répondre) (Mais j'avoue que c'est une excellente méthode pour qu'on vous laisse tranquille; à force d'entendre ma mère me répondre "on ne se pose pas ce genre de question" je finissais par ne plus lui en poser du tout. Il était écrit déjà dans l'enfance que ma mère et moi n'étions pas durablement compatibles...).
En lisant la quatrième de couverture, j'ai découvert que Jeanette Winterson, l'auteur de ce récit auto-biographique, était connue pour une oeuvre parue à l'époque de mon adolescence, Les oranges ne sont pas les seuls fruits. Il venait d'être ré-édité et était disponible également. Je l'ai pris, je l'ai ouvert, et la première phrase m'a donné envie d'en savoir plus. Jeanette Winterson, son double fictif et sa mère de roman, étaient entrés dans ma vie.
Cependant il y a une dualité dans ce livre à laquelle je n'ai pas réussi à m'habituer. J'ai adoré toute la partie réaliste, beaucoup moins toutes les digressions sur les légendes athuriennes. Sans doute parce que ces histoires de chevalier d'un temps féérique et enchanté ne m'ont jamais parlé, ça ne correspond pas à mon imaginaire. Je suis beaucoup trop cartésien pour être sensible à l'invraisemblable. Mais j'ai vraiment beaucoup aimé toute la partie réaliste.
Curieusement, même si Jeanette Winterson n'a qu'une dizaine d'années de plus que moi, j'ai eu l'impression qu'elle me parlait d'un temps beaucoup plus ancien. Je crois qu'on ne se rend jamais compte de l'accélération du ressenti du temps qui passe, et les gens qui ont une dizaine d'années de moins que moi me prennent probablement pour un dinosaure. Pourtant le monde du travail à l'usine n'est pas si vieux que ça, et l'enfance que décrit Jeanette Winterson dans son roman a à peine un demi-siècle. Entre temps cependant la technologie est arrivée dans nos vies avec une accélération croissante.
On découvre dans ce roman l'enfance d'une petite fille un peu particulière dans une famille un peu particulière, où la mère ne vit qu'en fonction de sa relation avec son Dieu, où le père est aux abonnés absents pour échapper aux foudres de sa maîtresse femme. Coincée entre cette mère qui prend trop de place et ce père fantomatique, l'enfant essaie de se construire malgré tout.
Je me suis très facilement identifié à cet enfant qui se construit, faisant plus ou moins consciemment un lien avec ma propre construction (après tout, une petite fille qui se découvre lesbienne face à l'obscurantisme religieux de sa mère, est-ce vraiment différent d'un petit garçon qui se découvre attiré par les garçons face à une mère dénuée de tout sentiment maternel et pour qui aimer est un vocabulaire soixante-huitard déplacé?). J'ai vécu les tracas de cette petite fille qui essaie d'être normale à l'école mais que personne ne veut comme amie, j'ai partagé les émotions de cet enfant qui pour s'isoler sort se promener avec son chien, j'aurai aimé avoir le courage de quitter mes parents pour vivre mes aventures sentimentales adolescentes.
Même si aujourd'hui cette enfance semble un peu datée, je vous recommande vivement cette lecture (il faudra juste passer les pages trop arthuriennes).
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